dimanche 13 janvier 2013

Celle qui entre


Cette femme ne savait rien faire d’autre que d’entrer. Elle entrait – par la porte d’une salle de réception et au milieu des gens, ou dans une baignoire, ou au lit où son amant l’attendait – comme un grand chanteur arrive sur la scène, comme le pape dans la salle du trône, où il reçoit l’hommage des délégations des croyants de ce monde, comme un chef de guerre pénètre dans la ville conquise, où des bourgeois barbus, pâles lui présentent aussitôt les clés sur un coussin de soie. C’est ainsi qu’elle entrait. Elle apparaissait sur le seuil ou prenait place au lit, et les témoins étaient remplis d’un sentiment d’attente solennelle. Mais alors, tandis que disparaissait la magie de l’entrée, il ne s’en suivait plus rien. Avec l’entrée elle avait tout dit et tout fait, de ce qu’elle savait dire et faire dans la vie. Et alors elle était simplement assise ou allongée ou conversait. Elle avait couvert le monde une fois pour toutes. Son travail était fait, elle n’avait pas d’autres tâches, elle aurait aussi bien pu mourir, car elle avait déjà fait son entrée.
Extrait de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
 

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