lundi 15 décembre 2014

Est-ce bon ? ...


La Bible dit que Dieu a créé le monde, et puis au septième jour « il se reposa et vit que c’était bon ».

Seul un homme aurait pu parler ainsi, jamais Dieu. Dieu a créé le monde, pourtant – très certainement - il n’a jamais ressenti que « c’était bon » ce qu’il avait créé. C’est le contentement de soi du petit artisan qui fièrement contemple le travail de ses mains, une balance, un cercueil ou une paire de bottes, qui se tape sur le ventre et s’assure lui-même que « c’est bon », ce qu’il a créé. Dieu n’est jamais aussi fat. Dieu et l’artiste – eux deux seulement – savent que ce n’est jamais « bon », que tout ce qui est de l’ordre de la création, humaine ou divine, est imparfait, car le souhait qui brule sur le foyer de toute création, ne s’éteint jamais, veut autre chose, plus, quelque chose de plus humain ou de plus divin … Ne te réjouis pas, ne te tourne pas les pouces de contentement, ne cligne pas des yeux, satisfait. Ce n’est pas « bon ». C’est, simplement – et ça déjà c’est surhumain.
 
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"

mardi 25 novembre 2014

Après la lecture de "Ce que j'ai voulu taire"


« J’ai voulu me taire. Mais le temps m’a interpellé et j’ai su que c’était impossible. Plus tard encore, j’ai compris que le fait de se taire était une réponse en soi, à l’instar de la parole et de l’écrit. Parfois se taire n’est pas la réponse la moins dangereuse. Rien n’irrite tant l’autorité qu’un silence qui la nie ».
Ainsi Sándor Márai débute-t-il « Ce que j’ai voulu taire ». Et en effet, du jour (18 mars 1944) où les troupes allemandes envahissent la Hongrie, leur « allié », Márai cesse d’écrire pour les journaux et interdit la réédition de ses œuvres. Et quelques mois plus tard il exprime dans son journal* son désir de compléter « Les confessions d’un bourgeois », publié en 1934. C’est donc cette suite, écrite en 1949-1950, qui retrouvée dans le fonds Márai du musée Petöfi, est parue l’année dernière en hongrois sous le titre « Hallgatni akartam » (« J’ai voulu me taire ») et  vient d’être éditée par Albin Michel dans la traduction de Catherine Fay. (A noter que c’est la première fois depuis de nombreuses années que c’est en français qu’est traduite en premier une œuvre de Márai).
* voir dans ce blog  l'article "Sensation littéraire : un inédit de Márai" (12 août 2013).
C’est un témoignage très touchant, parfois poignant d’un humaniste bourgeois (condition qu’il a constamment revendiquée) face à l’évolution historique de son pays, face à la faillite des élites dirigeantes obsédées par une revanche à prendre sur le désastreux traité de Trianon qui avait séparé de la Hongrie les deux tiers du territoire sous sa souveraineté et surtout de très nombreuses populations hongroises. Cet esprit de revanche allié à un penchant ancien pour un pouvoir autoritaire exercé par une aristocratie à peine sortie d’un système quasi-féodal, avait poussé la Hongrie aux côtés de l’Allemagne hitlérienne*, dans l’espoir d’une reconquête d’une partie de son ancien territoire. Et en effet ces vœux furent partiellement exaucés par la grâce d’Hitler et de Mussolini.
* La Hongrie a déclaré la guerre à la Russie le 27 juin 1941 et participé à la meurtrière bataille de Voronej en 1942.
 
Ce morceau d’histoire de la Hongrie, c’est le sujet même du récit de Márai. Et c’est certainement un des passages les plus personnels et les plus bouleversants que la relation qu’il fait de la visite de sa ville natale, Kassa (aujourd’hui Košice en Slovaquie) réintégrée à sa patrie, visite qu’il doit faire en défilant quasi militairement au milieu d’une population mi hostile mi ironique. Et l’amertume qu’il en ressent s’ajoute au constat sans concession qu’il dresse de l’attitude de la quasi-totalité de la société hongroise, soit ouvertement pronazi, soit qui laisse faire (aristocrates, grands propriétaires) car elle pense que c’est son intérêt, soit dans la convoitise des biens spoliés aux juifs.

Tout en procédant à ce que dans le Canard Enchaîné Igor Capel nomme un véritable examen de conscience, il fustige le comportement déshonorant pouvant aller jusqu’à l’abject de cette part de la société hongroise de l’époque (Nous étions totalement immergés dans la boue morale de la guerre tandis que la surface restait encore paisible. Les étrangers … disaient que Budapest était un « îlot de paix ». En fait nous ne vivions pas sur une île mais dans un marécage  bouillonnant sous lequel grondait un volcan. Au moment où cette force souterraine explosa, soudain il n’y eut plus d’« île » et la glaise en fermentation, avec tous ses êtres vivants aigrettes, aussi bien que crapauds et fossiles, s’engouffra dans le raz-de-marée sanglant et immonde).
Quelques portraits d’hommes politiques qui ont joué à cette époque des rôles importants, complètent cette description du monde dans lequel il vit et se sent de plus en plus isolé.

Malheureusement on sent que cet ouvrage n’est pas achevé. Contrairement à ce qu’il annonce dans les premières pages (J’aimerais raconter ce qui s’est produit au cours des dix années qui ont suivi [l’Anschluss], jusqu’à ce petit matin sur le pont de l’Enns – limite de la zone russe, qu’on appelait rideau de fer –, où un soldat soviétique … nous a laissés partir pour l’exil que nous avions choisi) Márai ne fait qu’évoquer la période d’après-guerre, ce que souligne la traductrice Catherine Fay dans sa postface. Mais pour cette période il écrira plus tard des pages éloquentes dans Mémoires de Hongrie.
Et au-delà de ses réflexions désenchantées, ce qui pour moi ressort le plus de ce texte, c’est l’attachement viscéral de Márai à sa nation hongroise et surtout à sa langue :

Etant donné que j’écris dans la langue extrême-orientale singulière de cette nation, que je ne pourrai jamais écrire une ligne vraiment valable dans une langue étrangère – non par manque de savoir-faire mais tout simplement parce que l’écrivain privé de l’atmosphère de sa langue maternelle est un être bégayant, estropié et impotent ! –tant que je vivrai et que j’écrirai, je ne pourrai abandonner l’esprit national hongrois.
Et en effet on ne peut qu’admirer le style, l’art consommé des longues périodes de ses descriptions, de ses diatribes, très bien rendus par la traduction.

Pour moi un ouvrage indispensable, malgré ses manques, pour comprendre l’histoire de la Hongrie de cette période et peut-être aussi celle d’aujourd’hui, car les vieux démons peuvent toujours se réveiller !

mercredi 29 octobre 2014

Parution aujourd'hui de "Ce que j'ai voulu taire"

Aujourd'hui est disponible en librairie
"Ce que j'ai voulu taire"
de Sándor Márai,
Editions Albin Michel (traduction Catherine Fay) 

Voici l'article que lui consacre "L'homme en question", revue de l'éditeur.

Les dernières confessions d’un bourgeois
Avant la Seconde Guerre mondiale, Sándor Márai était un écrivain et un journaliste reconnu en Hongrie. Il menait une existence bourgeoise et insouciante, à l’image de cette journée du 12 mars 1938 par laquelle commence Ce que j’ai voulu taire : le romancier va nager, écrit, prend un café, rencontre des amis…
Ce jour-là, pourtant, l’Allemagne nazie annexait l’Autriche, et un processus irréversible allait s’enclencher qui aboutirait à « l’anéantissement » de la culture et de la bourgeoisie hongroises. Écrit en 1950, ce manuscrit suit et complète Les Confessions d’un bourgeois (publié chez Albin Michel): Márai y revient sur l’histoire des transferts de population dans le bassin des Carpates depuis le traité de Trianon, en 1920, la dissolution du sentiment national venant alors s’ajouter à la juste colère des paysans sans terre et à la corruption généralisée. Après sa compromission avec le régime nazi, l’expérience communiste allait finir de ruiner moralement son pays, et Márai fut contraint à l’exil.
« Rien n’irrite tant l’autorité qu’un silence qui la nie »: c’est pourquoi cet éternel apatride, provisoirement rayé de la mémoire nationale de son pays (Albin Michel l’a révélé en France un an après sa mort, en 1990) se livre ici en toute honnêteté, esquissant un projet politique étrangement contemporain, seul viable à ses yeux: « un traité de paix entre capitalisme et socialisme ».

Ce que j’ai voulu taire
Sándor Márai
224 pages, 18€

jeudi 23 octobre 2014

Une édition bilingue anglais-hongrois de poèmes de Sándor Márai

Sous le titre de The Withering World, Alma Books, un éditeur anglais indépendant, vient de publier une anthologie de poèmes de Sándor Márai en édition bilingue.

Présentation de l'ouvrage par l'éditeur


This collection, the first and only edition of Márai’s poems in the English language – here presented in John M. Ridland’s and Peter V. Czipott's brilliant verse translation – offers a comprehensive selection spanning the author’s whole career and exemplifying his mastery of what he considered to be the highest form of literary expression.

Ce recueil, la première et unique édition de poèmes de Márai en langue anglaise - présentée ici dans la brillante traduction en vers de John M. Ridland et Peter V. Czipott -  propose une large sélection qui s’étend sur toute la carrière de l’auteur et témoigne sa maitrise de ce qu’il considérait comme la plus haute forme d’expression littéraire.

 
C'est à ma connaissance la seule traduction de poèmes de Márai dans une langue d'Europe occidentale.

dimanche 12 octobre 2014

Parution prochaine de "Ce que j'ai voulu taire"



Albin Michel annonce la parution, le mois prochain de
"Ce que j'ai voulu taire" de Sándor Márai.
 
Ce livre qui n'est paru en Hongrie qu'en avril 2013, est, d'après Márai lui même, une continuation des Confessions d'un bourgeois pour la période qui commence à l'Anschluss (l'occupation-annexion de l'Autriche par Hitler en 1938).
 
Voir aussi dans ce blog l'article "Sensation littéraire : un inédit de Márai" du 12 août 2013 .

mercredi 10 septembre 2014

Les politiques français aiment Márai

Après que François Hollande et Nicolas Sarkozy ont cités "Les Braises" dans la liste de leurs livres préférés, Fleur Pellerin, la nouvelle ministre de la Culture du gouvernement français cite "La Conversation de Bolzano" de l'écrivain hongrois Sándor Márai parmi ses livres de chevet. (Figaro Madame)

mercredi 3 septembre 2014

Le romain


Je vis comme les anciens romains au temps où les empereurs se succédaient rondement. Je me lève tard, prend tranquillement le petit déjeuner, lit quelques pages de sages écrits et allongé sur le lit j’épie l’animation printanière des oiseaux pépiant derrières les volets. Puis je me rends aux bains publics. Là, un livre agréable à la main, je m’assois sur un banc de pierre, observe les jeunes corps qui s’amusent comme des fous, je me réjouis des voix et des formes de la vie. Je mange quelque chose de léger, puis écris quelques lignes dans mon journal et range mes papiers. Je passe le soir avec des amis dans un jardin, bois du vin acidulé léger et nous échangeons sur la chose publique. A minuit quand je vais me reposer, la lune est déjà haut dans le ciel et entre les arbres le vent s’est endormi, comme les âmes des morts dans les cimetières.
Je me réjouis des fleurs, des jeunes corps, des livres intelligents et des mots affectueux de mes amis. De la pluie aussi et de la lumière du soleil. J’attends l’arrêt de mort ; en souriant je l’attend. Cela ne me fait plus souffrir de quitter cette vie, car c’est bien selon les préceptes de la raison que j’ai vécu. La paix soit avec vous.
Extrait de "Poivre et sel", troisième partie de "Ciel et terre"

mardi 3 juin 2014

Et un jour ...


Et un jour tout aura un autre sens. Considère l’espace dans lequel tu vis à présent, contemple le paysage qui a rayonné vers toi sous toutes les variantes des saisons à travers les fenêtres de ta chambre, regarde dans les visages des gens que tu as cru connaitre, aimer ou haïr, examine les objets dont ta vie était entourée : vient l’instant où tu apprends que tout cela n’était qu’une langue des signes, que des idéogrammes chinois dont tu ne déchiffres que maintenant le véritable sens, en cet instant effrayant et simple, indifférent et sans merci, vide et raisonnable. Malheureux, tu avais cru avoir su quelque chose. Mais maintenant tu découvres que jusqu’à présent tu n’avais véritablement rien su. Et ce sens, cette connaissance nouvelle et ultime, tu ne peux la transmettre à personne.
 

Extrait de "Poivre et sel", troisième partie de "Ciel et terre"

mardi 15 avril 2014

La fable chinoise

- Et bien – dit la femme -, tu viens ?

L’homme se taisait. Il tripotait ses gants et dit le regard baissé :

- J’ai entendu un jour une fable. Une fable chinoise, bien entendu. C’était ainsi : dans une province éloignée vivaient un homme et une femme. Un matin ils sentirent qu’une voix leur transmettait un message, un  ordre : ils se levèrent de leur couche et comme des somnambules se mirent en route l’un vers l’autre, quittèrent leur maison, leur époux et leur épouse, laissèrent tout et tous, pour se rencontrer enfin dans la sombre forêt de la vie et vivre ensemble heureux et unis. Ainsi marchèrent ils ensorcelés l’un vers l’autre. Ils allaient à travers des déserts infinis et finirent par arriver dans une sombre forêt. La forêt était séparée en deux par un ruisseau et les deux se rapprochaient chacun d’un des côtés des rives du ruisseau, les yeux fermés selon les ordres, et avec un sourire muet et heureux. Au-dessus du ruisseau il y avait une passerelle étroite, si étroite qu’une seule personne à la fois pouvait marcher sur la planche fragile. Et ils restaient tous les deux, sur la rive, se tenant face à face, pleins de désir et souriant, et ils hésitaient pour savoir lequel devait le premier se lancer vers l’autre… Alors la femme dit doucement, avec tendresse : « Viens donc ! ». L’homme leva le regard quand il perçut la voix, se frotta les yeux, regarda la femme, regarda vers le ciel, puis il se tourna et repartit dans sa vie, vers sa famille et à partir de cet instant il vécut muet et n’en revenant pas dans son cœur. Car la femme a parlé trop tôt. Et il n’est absolument pas permis de parler. Il faut attendre jusqu’à ce que l’homme traverse le ruisseau sans en être prié ou sommé. Voilà la fable chinoise.

- Oui -, dit-elle et ses yeux se remplirent de larmes. – Et bien, tu viens ? …

- Ce serait bien -, dit l’homme poliment, boutonna ses gants et chercha son chapeau. Malheureusement j’ai des négociations cet après-midi. Et je suis passablement pris toute cette semaine.
Extrait de "Poivre et sel", troisième partie de "Ciel et terre"

lundi 31 mars 2014

En réécoutant "Une vie - une oeuvre"


Si vous écoutez ou réécoutez sur France Culture l'émission "Une vie - une œuvre" consacrée samedi 29 mars à Sándor Márai (http://www.franceculture.fr/podcast/4685672) voici quelques informations, précisions ou remarques à propos des différentes interventions :
  • Quand, pour la première fois Márai revient à sa maison de la rue Mikó après la levée du siège de Budapest, il retrouve au milieu des ruines une bonne partie de ses livres, une photo de Tolstoï et Gorki à Iasnaia Poliana et le fameux chapeau : ironie du sort, ce chapeau est un haut de forme intact et dans son journal il note "un instant je me pose la question de ce qui arriverait si je me mettais le haut de forme sur la tête et me promenais dans les rues de Buda ? Rien ne se passerait. Je pourrais aussi marcher sur les mains, aujourd'hui tout est permis." (extrait du journal de l'année 1945)
  • Le roman "Szindbad rentre [à la maison]" est en effet paru en italien chez Adelphi sous le titre Sindbad torna a casa (voir l’article du 21 mai 2013 dans ce blog). Pour les lecteurs de ce blog qui lisent l’italien, c’est en effet une œuvre très attachante qui révèle une facette encore inconnue des lecteurs français.
  • Vérification faite, Márai mesurait 1m82.
  • Kassa porte aujourd’hui le nom de Košice, c’est la deuxième ville de Slovaquie. Pendant des siècles elle a fait partie du Royaume de Hongrie, en particulier dans la période où la majeure partie de la Hongrie était sous domination ottomane. Rattachée à la Tchécoslovaquie par le traité de Trianon (4/6/1920), la ville sera à nouveau hongroise de novembre 1938 à janvier 1945 en conséquence du premier arbitrage de Vienne imposé par l’Allemagne à la Tchécoslovaquie.
  • Le père de Márai, Gezá Grosschmid, était juriste dans une banque de Kassa.
    Sándor Grosschmid est resté le nom officiel de Márai jusqu’en 1936, alors que dès ses premières œuvres il signe Márai, c’est-à-dire « de Mara » d’un titre de noblesse octroyé à un de ses aïeux par l’empereur d’Autriche (et roi de Hongrie). Les premières traductions françaises paraîtront d’ailleurs sous le nom francisé d’Alexandre De Mara.
  • Sa participation à la république des conseils (31/10/1918 – 8/1919) a consisté à écrire dans un journal révolutionnaire Drapeau rouge (Vörös Lobogó) ce qui lui sera reproché plus tard sous la « régence » Horthy. Il quitte la Hongrie avant la chute du régime de Béla Kun.
  • Outre les titres cités, tous traduits en français, il faut ajouter Un chien de caractère, Les mouettes et La sœur dernier roman publié avant l’exil, Paix à Ithaque, Le miracle de San Gennaro, et Libération (qui ne sera publié qu’en 2000 selon la volonté de l’auteur). Et beaucoup d’autres œuvres de toute nature, poésie, épigrammes, essais, et le journal qu’il a tenu de 1943 à sa mort, qui ne sont pas traduites en français. (Voir la bibliographie sous l’onglet correspondant de ce blog).
  • Dans l’intervention sur le comportement de Márai pendant la guerre, sous l’expression « après l’occupation allemande », il faut entendre « à partir du moment où les allemands ont occupé la Hongrie » (mars 1944).  
  • Entre le séjour à New York (1952-1967) et la fin de sa vie à San Diego (1980-1989), se situe un nouveau séjour de 13 ans en Italie, à Salerne, qu’il quitte en 1980, car la santé de sa femme Lola et la sienne deviennent préoccupantes, qu’il a peu confiance dans le système de santé italien et qu’il préfère se rapprocher de János, son fils adoptif. (Voir la biographie de Márai, sous l’onglet correspondant de ce blog).
  • Sur son suicide, voir l’article du 22 février 2014 dans ce blog.

samedi 29 mars 2014

Réécouter "Une vie - Une œuvre" consacrée à Sándor Márai

Pour réécouter l'émission Une vie - Une œuvre consacrée à Sándor Márai, diffusée sur France Culture le 29 mars,


Ceux qui voudraient lire le texte dit à la fin de l'émission, peuvent le retrouver sur ce blog (article du 14 janvier : La forêt, traduit par mes soins d'abord à partir de l'allemand , puis vérifié et rectifié sur l'original hongrois).

dimanche 16 mars 2014

Sandor Marai sur France Culture, le samedi 29 mars 2014


L’émission
« Une vie, une œuvre »
sera consacrée à
Sandor Marai sur France Culture
le samedi 29 mars 2014 de 16h à 17h
par Laetitia Le Guay
réalisation : Ghislaine David
 
Sandor Marai s’est imposé comme l’auteur hongrois le plus lu en France, avec des romans construits comme des thrillers, autour de secrets de famille, d’événements mystérieux du passé (Premier Amour, Les Braises, L’héritage d’Esther, les Mouettes, La Sœur). L’ascendant d’un être sur un autre, les limites du langage, l’étrangeté de soi à soi-même et au monde sont des thématiques récurrentes d’un univers romanesque aux récits implacables ; univers à la violence sourde dont la psychanalyse n’est jamais très loin.

La vie de Sandor Marai fut itinérante : européenne et quasi-vagabonde dans la jeunesse, pour fuir la Terreur Blanche de 1919 ; hongroise pendant vingt ans ; américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Marai de l’exil. Au-delà des circonstances politiques, le voyage est un mode d’être pour Sandor Marai, « une appréhension sensuelle du monde », écrit-il dans son Journal, « peut-etre la seule vraie passion de ma vie».». De plus en plus solitaire et difficile matériellement, mais fertile sur le plan littéraire, l’exil mènera Marai de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin.

Témoin de la disparition du monde du 19e siècle, observateur du destin d’une Europe malmenée par le fascisme puis le stalinisme, Marai médite de livre en livre (Libération, Mémoire de Hongrie, Journal), sur les totalitarismes et l’humain, dans une écriture limpide qui, au fil des années, se condense, pour devenir de plus en personnelle, fragmentaire,  poétique.
 
Il reste l’une des grandes voix de la Mitteleuropa, aux côtés de Stefan Zweig ou Thomas Mann qu’il admirait.

Avec la participation de :
Balázs Ablonczy, historien, directeur de l’Institut hongrois de Paris
François Giraud, auteur du blog
http://sandor-marai.blogspot.com
Catherine Faye et Georges Kassai, traducteurs de Sandor Marai en français
Gabrielle Napoli, collaboratrice à la Quinzaine littéraire
Andras Kanyadi, maître de conférences à l'Inalco, qui a publié sous sa direction La Fortune littéraire de Sandor Marai (collectif), Edition des Syrtes, 2012
Daniel Rondeau, écrivain, journaliste, diplomate
Ibolya Virág, éditrice, traductrice

Source :
franceculture.fr
 

dimanche 2 mars 2014

2013, un bon millésime pour l’œuvre de Márai


L’année 2013 a été un « bon cru » pour l’œuvre de Sándor Márai, riche en rééditions, traductions, et qui a vu aussi la parution d’un inédit en Hongrie.
Réédition chez Helikon (Budapest) de Ég és föld (Ciel et terre- épigrammes, aphorismes), Kassai őrjárat (Patrouille à Kassa – récit de son voyage dans sa ville natale en 1941-42), Eszter hagyatéka (L’héritage d’Esther – roman), Az igazi (L’authentique) et Judit …és az utóhang (Judith ...et appendice) qui constituent les quatre parties du roman paru en français sous le titre « Métamorphoses d’un mariage », Válás Budán (Divorce à Buda – roman) et Egy polgár vallomásai (Les confessions d’un bourgeois - avec la mention « édition intégrale, non censurée » !).
Des nouveautés : Beszéljünk másról? Publicisztika 1943–1978 (Pouvons-nous parler d’autre chose ? 1943-1978 –chroniques), Régi Kassa, álom… (Ancienne Kassa, un rêve... – d’après la présentation, il semble qu’il s’agisse d’une anthologie de textes sur Kassa, sa ville natale).
Helikon poursuit aussi l’édition du Journal : en 2013 est paru le volume des années 1964 à 1966.

Dépôt de gerbes au pied de la statue de Sándor Márai,
à Košice, le 11 avril 2013
Et surtout est paru en avril 2013, toujours chez Helikon, l’inédit Hallgatni akartam (J’ai voulu me taire – continuation des « Confessions d’un bourgeois » à partir de 1938, voir mon article du 12 août 2013).


Régi Kassa, álom… a été présenté le 11 avril 2013 (anniversaire de Márai) à  Košice - Kassa (alors capitale européenne de la culture), après une cérémonie officielle près de sa statue.
Des traductions aussi :

en français : Les mouettes (traduction de Siraly - « Mouette»)
en italien : Sinbad torna a casa (traduction de Szindbád hazamegy –
« Sinbad rentre »)
en allemand : Die Frauen von Ithaka (traduction de Béké Ithakaban
– « Paix à Ithaque »)
en portugais : A Irmã (traduction de A növer
– « La sœur »)
en castillan : Liberación
(traduction de Szabadulás -« Libération »)

 
Signalons enfin que la plupart des romans traduits en allemand sont maintenant disponibles en livre électronique.
Espérons que l’année 2014 sera elle aussi un bon millésime pour la diffusion de l’œuvre de Sándor Márai.

vendredi 21 février 2014

Anniversaires





-1978-
Il y a vingt cinq ans, le 22 février 1989, à San Diego (USA) Sándor Márai mettait fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête.


Certains font le rapprochement avec le suicide de Zweig, également, un 22 février (1942), coïncidence curieuse (serait-elle voulue de la part de Márai ?).

Y-a-t’il d’autre point commun entre ces deux suicides que le fait qu'il s'agisse d'écrivains exilés originaires d'Europe centrale ?

A 60 ans, Zweig était au faîte de sa notoriété (il eut d’ailleurs droit à des funérailles nationales), marié depuis peu et en bonne santé. On pourrait presque dire que Zweig a conçu son suicide comme un ultime cri de protestation face à ce monde qui s’enfonçait dans l’horreur.

De son côté, quand il se suicide, Márai va avoir 89 ans. Il a perdu en quelques années tous ses proches : sa femme, ses frères et sœur et, ultime deuil, son fils adoptif. Il vit seul, n’y voyant pratiquement plus (glaucome), se déplace très difficilement. Il est pratiquement oublié et depuis des années n’écrit plus « que pour le tiroir ». C’est un suicide d’épuisement.

Ses cendres sont dispersées dans l’Océan Pacifique, où se trouvent déjà celles de Lola sa chère femme.

mardi 14 janvier 2014

La forêt


Vers cinq heures la forêt flambait encore dans la lumière et le feu doré d’octobre ; mais avant que nous ayons atteint la fin du chemin forestier, les flammes s’étaient éteintes et une vapeur froide et une lumière sombre de crépuscule tombaient sur nous, sur la forêt et sur les clairières.
Dans cette obscurité nous commencions à nous presser, nous parlions avec agitation comme si était venu l’instant où il fallait vite, très vite se concerter sur tout, le sens et l’absurdité de la vie, le passé et l’avenir qui sont tout aussi funestes, le mystère que représente celui-ci et le mystère qui me représente moi, furieux, presque en criant, nous pressant sur le chemin forestier dans le crépuscule, dans la forêt d’octobre, sous les arbres déplumés, entre les ombres grises et échevelées – dans la forêt, sur ce chemin funeste, nous coupant la parole, nous arrêtant et haletant, regardant l’autre dans les yeux reprenant notre course, cherchant notre souffle, nous envoyant des mots, criant le texte de quelque dispute incompréhensible. Et le vent mugissait. C’était l’instant où les arbres grandissaient, poussaient, oui, jusqu’au ciel. Le destin était dans tout, dans le crépuscule froid, dans le dialogue haleté, dans la hâte, dans la manière dont il tendait parfois le bras, comme s’il cherchait le chemin, comme s’il voulait demander de l’aide entre les arbres s’inclinant sous la tempête, criant, au fond de la forêt profonde, perdu et cherchant de l’aide, comme s’il n’entendait vraiment rien d’autre, juste le mugissement du vent, la souffrance des arbres sombres, l’écho devenu cri de ses mots et le battement sauvage de son cœur. Ainsi marchions-nous sur le chemin du retour de la forêt. Au loin, au bord de la prairie, brillaient déjà les lumières. Alors nous nous sommes arrêtés, nous sommes tus et rentrés en ville. A mi-chemin, j’ai compris qu’une partie de la vie était terminée ; les quarantes ans sont derrière moi et maintenant commence quelque chose de nouveau. 
Extrait de "Poivre et sel", troisième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner