Je suis dans les dernières lignes du livre qui huit mois
durant a rempli ma vie[1], jour et nuit. Arrivé à un moment où on en a assez du
travail, il ennuie et finit par écœurer.
Et cette nuit je trouve dans un tiroir les
premières esquisses de ce travail : une pièce en un acte[2] il y a dix-neuf
ans – écrite à Berlin, à l’époque je ne parlais bien ni hongrois, ni allemand –
et quelques feuillets arrachés à un bloc-notes il y a huit ans, datées de
Londres. Les deux fragments tournent autour du même thème : la matière de
mon livre, matière que je couche maintenant enfin sur le papier après dix-neuf
ans dans un cas et huit dans l’autre de préparation et de temporisation. Ces
notes et essais étaient complètement oubliés pendant le travail ; au
moment de l’exécution le thème me semblait tout neuf, il m’a emballé, fasciné ;
maintenant je vois que je m'étais déjà mis minutieusement à cette matière il y a
dix-neuf ans et que je m’étais fait des notes là-dessus il y a huit ans, pourtant je
reculais alors sans cesse devant parce que je n’étais pas sûr de mon affaire. Jusqu’à
ce que, après vingt ans de délai de démarrage, un jour, quand l’incubation a
été terminée, j’ai commencé à écrire dans une sorte d’acte forcé. L’incubation,
le temps de maturation ne se laisse pas raccourcir. L’écrivain ne pouvait pas
écrire son œuvre un seul jour avant que le thème soit complètement arrivé à
maturité. Un être humain nécessite neuf mois, un éléphant un an et demi, un
livre demande parfois vingt ou quarante ans. Il ne faut pas, on ne peut
d’ailleurs pas se hâter, il faut attendre, être à l’affut. Le livre se développe
en nous.
1. Vraisemblablement "La conversation de Bolzano"
1. Vraisemblablement "La conversation de Bolzano"
2. Peut-être "Männer", pièce écrite en allemand
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
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