J’ai rapporté au petit garçon[1] un filet
à papillon et maintenant sous le soleil de juin il court joyeux dans les allées
du jardin : il attrape des papillons, puis il rend ces fugaces petits
oiseaux d’été virevoltant à la liberté. Le jardin rayonne d’une lumière chaude,
brillante et l’enfant, les papillons, le filet à papillons rose flottant entre
les fleurs, les plants de tomates vertes et les fleurs jaunes des citrouilles,
tout cela forme une unité profonde, jeu et éclairs de lumière, réalité et
abondance. Parfois je lève les yeux du livre – je lis Le malaise dans la civilisation de Freud – et observe l’enfant qui
joue avec le filet à papillons. Il a quatre ans, il est retors, têtu, paysan et
protestant ; il sait déjà des tas de choses sur les animaux, les fruits de la
terre, le jardin, sur les singularités des choses terrestres. Mais tous les
jours il pleure Jászberény : là-bas il y avait tout, des chevaux, des chiens,
des poules, des canetons, des russes et même des juifs. Tous mes efforts sont vains,
je ne peux pas concurrencer un si riche trésor de souvenirs.
Extraits du journal de l'année 1945 d'après la traduction
allemande de Clemens Prinz
(Sándor Márai, Unzeitgemäße Gedanken, Tagebücher 2, 1945 / Piper Verlag, 2009)
(Sándor Márai, Unzeitgemäße Gedanken, Tagebücher 2, 1945 / Piper Verlag, 2009)
[1]
Petit garçon : János, que sa
femme et lui ont recueilli quelques semaines auparavant et qu’ils adopteront quelques
mois plus tard
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