dimanche 2 décembre 2012

Travail

Je suis souvent effrayé par le peu de temps que je travaille par jour. A dire vrai ce ne sont que quelques minutes le matin ou l’après-midi quand vraiment il n’est plus possible de repousser et où – dans la contrainte et en résistant – je gratte rapidement les quelques lignes, d’où sort alors quelque chose, un article, un essai ou une page d’un livre.
Sûr, si l’on calculait mes honoraires sous forme de salaire horaire, je pourrais manger de la viande enragée. Je ne crois pas que je travaille plus d’une heure, maximum une heure et demie par jour. C’est avec raison qu’une grande partie des hommes méprise l’écrivain qui ne fait que glander, bailler aux corneilles, lire, mater et puis qui, de temps en temps, accessoirement, jette aussi quelque chose sur le papier. Je ne me défends absolument pas contre ce mépris. Je veux seulement acter que moi aussi je méprise la majeure partie de la fiction de travail avec laquelle les hommes gaspillent leur vie et leur temps. Du travail fictif c’est être assis pendant dix heures dans une administration ou encaisser de l’argent ou « traiter » des dossiers. Il est possible que dans les grandes organisations d’une société le travail fictif soit aussi nécessaire. Mais je n’ai aucune considération pour cette sorte de travail.
Travailler ne peut pas être une fin en soi. Le travail n’a de valeur que si l’homme en produit quelque chose : un paire de chaussures, magistralement, comme d’autres ne le peuvent pas, ou un roman, magistralement, comme d’autres n’en sont pas capables, ou quand l’homme guérit comme si le bon dieu lui avait soufflé le secret à l’oreille. Je suis éternellement reconnaissant au destin de ne pas pouvoir travailler, mais seulement produire, créer quelque chose.


Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

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