Je suis souvent effrayé par le peu de temps que je travaille
par jour. A dire vrai ce ne sont que quelques minutes le matin ou l’après-midi quand
vraiment il n’est plus possible de repousser et où – dans la contrainte et en
résistant – je gratte rapidement les quelques lignes, d’où sort alors quelque
chose, un article, un essai ou une page d’un livre.
Sûr, si l’on calculait mes honoraires sous forme de salaire
horaire, je pourrais manger de la viande enragée. Je ne crois pas que je
travaille plus d’une heure, maximum une heure et demie par jour. C’est avec
raison qu’une grande partie des hommes méprise l’écrivain qui ne fait que
glander, bailler aux corneilles, lire, mater et puis qui, de temps en temps,
accessoirement, jette aussi quelque chose sur le papier. Je ne me défends
absolument pas contre ce mépris. Je veux seulement acter que moi aussi je
méprise la majeure partie de la fiction de travail avec laquelle les hommes
gaspillent leur vie et leur temps. Du travail fictif c’est être assis pendant dix
heures dans une administration ou encaisser de l’argent ou
« traiter » des dossiers. Il est possible que dans les grandes
organisations d’une société le travail fictif soit aussi nécessaire. Mais je n’ai
aucune considération pour cette sorte de travail.
Travailler ne peut pas être une fin en soi. Le travail n’a
de valeur que si l’homme en produit quelque chose : un paire de
chaussures, magistralement, comme d’autres ne le peuvent pas, ou un roman,
magistralement, comme d’autres n’en sont pas capables, ou quand l’homme guérit
comme si le bon dieu lui avait soufflé le secret à l’oreille. Je suis
éternellement reconnaissant au destin de ne pas pouvoir travailler, mais
seulement produire, créer quelque chose.
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
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