Je n’ai
jamais beaucoup aimé les journaux intimes, ce n’est pas mon moyen d’expression.
Si c’est le sens d’un journal d’écrire « journellement », et à côté
de cette tâche, de noter aussi en gribouillant le sens de ce sous-produit, de
conserver les copeaux de l’instant, alors ce sont ces notes-ci qui sont mon
journal ; pourtant je ne peux pas écrire autrement, simplement pour un
public anonyme, ainsi que je le fais en ce moment en mettant ces notes
sur le papier, c’est-à-dire avec un titre, une intention et un contenu
structuré … Est-ce de la vanité ? Ou un genre de contrainte du
métier ? Et les journaux, ces « grandes confessions », sont-ils écrits avec
moins de coquetterie et d’intentions et moins pour le public ? J’ai un
doute. L’écrivain louche toujours d’un œil vers le public, même s’il note sur
son cahier secret : « Aujourd’hui rien à signaler » ou
« fumé cet après-midi ». Cela aussi il le considère comme une affaire
publique puisque justement il est écrivain. Le journal, même le plus intime,
est toujours écrit pour le public, et peut-être est-ce ainsi plus honnête, si
nous avouons, que nous autres écrivains ne pouvons pourtant pas être
complètement honnêtes, ni dans nos œuvres, ni dans notre correspondance, ni non
plus dans les notes de notre journal. D’ailleurs, auteur de journal intime, je ne fais pas grand compte de cette étrange bonne foi. Garde tes secrets pour toi – écris de manière
énigmatique et sincère, avec titre, structure et intention, c’est la seule
manière possible, la seule manière convenable.
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner
Il est amusant de noter que ce texte est paru en 1942 et que l'année suivante, SándorMàrai commençait un journal, journal qu'il allait tenir jusqu'à sa mort.