A l’occasion de la parution de Sindbad torna
a casa, traduction en italien de Szindbád hazamegy de Sándor Márai (voir message du 21 mai), voici, avec l’aimable autorisation de M.
Ákos Cseke de l’université Pázmány de Budapest, quelques extraits de sa
communication au colloque sur Sándor Márai (avril 2010) reprise dans La
fortune littéraire de Sándor Márai (Editions
des Syrtes ; voir sur ce blog le message du 24 septembre 2012).
... Nous avons, d'un
côté, un auteur ignoré de la plupart des
Français [Krúdy], une œuvre intraduisible, que seuls les Hongrois ont le privilège de pouvoir véritablement comprendre,
et, de l’autre, un roman que notre écrivain [Márai] consacre à cet auteur
mystérieux, dont il imite les thèmes et le
style, parfaitement insaisissables au lecteur français faute de
traduction et faute pour lui de ressentir cette tristesse éminente des Hongrois
dont parle Márai.
Mais ce n'est pas tout :
les difficultés de la traduction commencent dès la traduction du titre, avec le
mot hazamenni, qu'on traduit par « rentrer chez soi » ou « retourner », mais qui renvoie aussi à l'idée de
la mort et de l'agonie. Comme il s'agit de la dernière journée de la vie de Sindbad, le verbe hazamegy signifie
tout simplement « mourir ». Le nom de Sindbad pose également problème.
En effet, si un lecteur français entend parler de Sindbad, il pense à coup sûr au héros des Mille et une nuits, or
le Sindbad en question n'a a rien à
voir avec ces contes arabes. Pour un lecteur hongrois, il est évident
que Sindbad, c'est Krúdy lui-même ou un Krúdy vu par Márai, puisque Sindbad est
le héros de plusieurs œuvres de Krúdy et que Márai, dans son roman, identifie
Krúdy avec son héros, lequel héros, en dehors de son nom, n'a rien de commun
avec le voyageur oriental.
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Couverture de l'édition hongroise
montrant Krúdy à sa fenêtre |
… Plus qu'un
roman sur Krúdy, Szindbád hazamegy —
que je traduis par Sindbad rentre —
est un roman sur la Hongrie, ce pays « triste dans son cœur », un
roman sur le peuple magyar, sur ses rêves, mais aussi sur les estomacs hongrois
et les panses hongroises, sur les lieux magiques de l'ancien Budapest, sur les
rues et les maisons d'Óbuda, sur les cafés et les bains budapestois, sans
oublier les écrivains contemporains de Krúdy et de Márai. C'est tout un monde
qui se dessine, un monde qui, comme le dit Márai, n'est connu que de deux êtres
: Dieu et Gyula Krúdy.
… Sindbad
rentre reste un roman incontournable, qui appelle à l'analyse du rapport entre
ces deux auteurs hongrois. Pour Márai, Krúdy n'est pas un auteur quelconque ni
simplement l'un de ses auteurs préférés : Gyula Krúdy est l'écrivain par
excellence, le plus grand écrivain du xxe siècle. Ce ne sont pas des paroles en
l'air. D'après son journal de 1989, Krúdy est le seul écrivain qu'il pouvait
encore lire à la fin de sa vie, quand il en avait assez de toute la
littérature. Krúdy, pour lui, est quelque chose d'unique, d'intime ; c'est une
relation amoureuse.