vendredi 28 décembre 2012

Un poète Hongrois

Pour le « Jour du Livre » on a réédité les poèmes de Gyula Juhász*. Sur la jaquette le visage barbu, triste du grand poète, son sourire fou. Juhász était un « hongrois » en effet : dans une telle constitution de hongrois se cache une psychose. On ne peut pas impunément être seuls en Europe pendant mille ans. L’homme dans la solitude devient poète ou maniaco-dépressif ou les deux. Chez les finlandais il y a aussi beaucoup de fous. Le résultat de l’expérience finno-ougrienne est que nous nous sommes égarés dans le monde indo-germanique et que nous sommes seuls. C’est aussi là-dessus que le sourire fou sur la photographie attire notre attention.
Extrait du journal (année 1947), à partir de la traduction
en allemand deTibor et Mona von Podmaniczky


* Gyula Juhász (1883-1937), poète hongrois, un des enfants les plus célèbres de Szeged, maître de la forme courte. Anna sa Muse, et ses souvenirs d’elle suscitèrent toute sa vie des poèmes tendres et sensibles. Plusieurs tentatives de suicide émaillent une vie de solitude. Autre évocation de Juhász par Sándor Márai, sous le titre Szeged dans Ciel et terre.

dimanche 23 décembre 2012

Messe de minuit

Messe de minuit le soir de Noël dans la cathédrale de Kassa* ; vingt ans après je revois et réentends cela pour la première fois. Mon émotion est froide et sans pathos. Il y a quelque chose de grand et d’éternel dans la cathédrale, dans les visages des gens, dans les ombres gris-jaunes, dans le silence de fer ; et derrière tout ça, l’enfance.
 
Oui, la ville et la cathédrale, elles restent – il faut les séparer de l’enfance, des gens, de l’actuel, de ce qui change et qui tombe en ruine, de ce qui est déjà terriblement étranger dans cette ville parce que connu de toute éternité par la chair, le sang et par le souvenir : pour nous ne peut vraiment mourir que ce qu’avec quoi nous avons été le plus familier. Le souvenir est mort et refroidi. Mais la ville et la cathédrale se tiennent dans une froide supériorité au dessus de tous les souvenirs et modifications : et cela avec une indifférence qui est inhumaine, comme seules de grandes œuvres d’art peuvent regarder de haut celui qui les a créées et qu’elles ont créé.



* Kassa, aujourd'hui Košice en Slovaquie, est la ville natale de Sándor Márai. Au moment où il écrit ces lignes, Kassa rattachée en 1920 à la Tchécoslovaquie par le traité de Trianon, est redevenue hongroise par la "grâce" d'Hitler et de Mussolini au premier arbitrage de Vienne (1938) et Márai a pu retourner dans cette ville qu'il évoque en particulier dans "Les Révoltés"

Extrait de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner

mardi 4 décembre 2012

Soirée littéraire autour de Sándor Márai

Invitation
 
Pour les lecteurs parisiens de ce blog, je signale que Madame Ibolya Virag,
 l'éditrice qui a (ré-)introduit les œuvres de Sándor Márai en France et moi-même
animerons, le mardi 11 décembre à partir de 19h30,
une soirée causerie sur l'écrivain et ses œuvres,
au Miroglio Caffè, 88 rue Saint Martin, Paris 4ème.
 
J'y présenterai ce blog et nous échangerons sur l'homme et l'œuvre
en évoquant deux nouveautés, "Les étrangers" dernier roman paru chez Albin Michel
et "La fortune littéraire de Sándor Márai", recueil d'études publiés aux éditions Syrtes.
 
Et nous pourrons y déguster des crêpes Gundel, qui ont un rapport étroit avec Márai,
comme nous l'expliquera Madame Ibolya Virag,
crêpes confectionnées par l'excellent chef hongrois Tibor Pinkermann.
 
Merci de réserver par mail à assodialogues@gmail.com
 

dimanche 2 décembre 2012

Travail

Je suis souvent effrayé par le peu de temps que je travaille par jour. A dire vrai ce ne sont que quelques minutes le matin ou l’après-midi quand vraiment il n’est plus possible de repousser et où – dans la contrainte et en résistant – je gratte rapidement les quelques lignes, d’où sort alors quelque chose, un article, un essai ou une page d’un livre.
Sûr, si l’on calculait mes honoraires sous forme de salaire horaire, je pourrais manger de la viande enragée. Je ne crois pas que je travaille plus d’une heure, maximum une heure et demie par jour. C’est avec raison qu’une grande partie des hommes méprise l’écrivain qui ne fait que glander, bailler aux corneilles, lire, mater et puis qui, de temps en temps, accessoirement, jette aussi quelque chose sur le papier. Je ne me défends absolument pas contre ce mépris. Je veux seulement acter que moi aussi je méprise la majeure partie de la fiction de travail avec laquelle les hommes gaspillent leur vie et leur temps. Du travail fictif c’est être assis pendant dix heures dans une administration ou encaisser de l’argent ou « traiter » des dossiers. Il est possible que dans les grandes organisations d’une société le travail fictif soit aussi nécessaire. Mais je n’ai aucune considération pour cette sorte de travail.
Travailler ne peut pas être une fin en soi. Le travail n’a de valeur que si l’homme en produit quelque chose : un paire de chaussures, magistralement, comme d’autres ne le peuvent pas, ou un roman, magistralement, comme d’autres n’en sont pas capables, ou quand l’homme guérit comme si le bon dieu lui avait soufflé le secret à l’oreille. Je suis éternellement reconnaissant au destin de ne pas pouvoir travailler, mais seulement produire, créer quelque chose.


Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"
d'après la traduction en allemand d'Ernö Zeltner