dimanche 8 mars 2015

Comme en mars


Comme en mars, quand l’après-midi le crépuscule ne s’installe plus à quatre heures et que notre œil habitué à l’obscurité hivernale ressent que cette lumière pâle est devenue déjà plus tenace et intense, que le monde peut exprimer sa volonté, comme toujours, par la lumière et la vie : crois bien qu’au-delà de la pestilence et de l’infamie existent des forces plus claires, se cachent des lumières qui un jour lancent leurs rayons aussi sur l’humanité, comme cette première lumière obstinée en mars, l’après-midi à quatre heures.
Extrait de "Ciel et terre"

dimanche 1 février 2015

L’actualité de Márai en 2014


France-Culture lui a consacré le 29 mars une émission de sa série « Une vie, une œuvre » (voir dans ce blog les articles Sandor Marai sur France Culture, le samedi 29 mars 2014 du 16 mars, Réécouter"Une vie - Une œuvre" consacrée à Sándor Márai et En réécoutant "Une vie - uneoeuvre" du 31 mars.
2014 a vu comme l’année dernière un inédit de Márai être publié. Cette fois il s’agit sous le titre Fedőneve: Ulysses (« Nom de code : Ulysse ») de textes d’émissions qu’il faisait régulièrement sur Radio Free Europe à partir d’octobre 1951 en direction de la Hongrie. J’y reviendrai bientôt.
Par ailleurs à côté  de rééditions comme celles parmi plusieurs autres de Zendülők (Les révoltés), Helikon poursuit l’édition du Journal : en 2014 est paru le volume des années 1967 à 1969 et continue aussi à proposer des extraits d’œuvres diverses rassemblés autour d’un thème : après Budán lakni világnézet (Habiter Buda : une vision du monde) et  Régi Kassa, álom… (Ancienne Kassa, un rêve...) voici Italia életérzés (Impressions italiennes).
Le site hlo.hu publie fréquemment des articles critiques en anglais sur Márai et ses œuvres. En particulier de très longs articles sur Mémoires de Hongrie et sur la récente version « non censurée » des Confessions d’un bourgeois  (les éditions précédentes, exceptées l’italienne, avaient été expurgées par Márai lui-même de passages mettant en scène des personnes qui en avaient demandées la suppression).
Signalons quelques nouvelles traductions :
en français, Ce que j’ai voulu taire, traduction de l’inédit Hallgatni akartam paru en Hongrie en avril 2013 (voir dans ce blog les articles Sensation littéraire : un inédit de Márai  du 12 août 2013, et Après la lecture de "Ce que j'ai voulu taire" du 25 novembre 2014)
en anglais, une anthologie de poèmes en édition bilingue, sous le titre The Withering World (voir l’article Une édition bilingue anglais-hongrois de poèmes de Sándor Márai).
Et deux essais sur Sándor Márai :
en italien : Sándor Márai e Napoli de A. Di Francesco et J. Papp
en espagnol : Sandor Marai y la viscera del alma. ensayo sobre su novela "La hermana" de Inoriza Rueda, Ángel

lundi 15 décembre 2014

Est-ce bon ? ...


La Bible dit que Dieu a créé le monde, et puis au septième jour « il se reposa et vit que c’était bon ».

Seul un homme aurait pu parler ainsi, jamais Dieu. Dieu a créé le monde, pourtant – très certainement - il n’a jamais ressenti que « c’était bon » ce qu’il avait créé. C’est le contentement de soi du petit artisan qui fièrement contemple le travail de ses mains, une balance, un cercueil ou une paire de bottes, qui se tape sur le ventre et s’assure lui-même que « c’est bon », ce qu’il a créé. Dieu n’est jamais aussi fat. Dieu et l’artiste – eux deux seulement – savent que ce n’est jamais « bon », que tout ce qui est de l’ordre de la création, humaine ou divine, est imparfait, car le souhait qui brule sur le foyer de toute création, ne s’éteint jamais, veut autre chose, plus, quelque chose de plus humain ou de plus divin … Ne te réjouis pas, ne te tourne pas les pouces de contentement, ne cligne pas des yeux, satisfait. Ce n’est pas « bon ». C’est, simplement – et ça déjà c’est surhumain.
 
Extrait de "Ars Poetica", deuxième partie de "Ciel et terre"

mardi 25 novembre 2014

Après la lecture de "Ce que j'ai voulu taire"


« J’ai voulu me taire. Mais le temps m’a interpellé et j’ai su que c’était impossible. Plus tard encore, j’ai compris que le fait de se taire était une réponse en soi, à l’instar de la parole et de l’écrit. Parfois se taire n’est pas la réponse la moins dangereuse. Rien n’irrite tant l’autorité qu’un silence qui la nie ».
Ainsi Sándor Márai débute-t-il « Ce que j’ai voulu taire ». Et en effet, du jour (18 mars 1944) où les troupes allemandes envahissent la Hongrie, leur « allié », Márai cesse d’écrire pour les journaux et interdit la réédition de ses œuvres. Et quelques mois plus tard il exprime dans son journal* son désir de compléter « Les confessions d’un bourgeois », publié en 1934. C’est donc cette suite, écrite en 1949-1950, qui retrouvée dans le fonds Márai du musée Petöfi, est parue l’année dernière en hongrois sous le titre « Hallgatni akartam » (« J’ai voulu me taire ») et  vient d’être éditée par Albin Michel dans la traduction de Catherine Fay. (A noter que c’est la première fois depuis de nombreuses années que c’est en français qu’est traduite en premier une œuvre de Márai).
* voir dans ce blog  l'article "Sensation littéraire : un inédit de Márai" (12 août 2013).
C’est un témoignage très touchant, parfois poignant d’un humaniste bourgeois (condition qu’il a constamment revendiquée) face à l’évolution historique de son pays, face à la faillite des élites dirigeantes obsédées par une revanche à prendre sur le désastreux traité de Trianon qui avait séparé de la Hongrie les deux tiers du territoire sous sa souveraineté et surtout de très nombreuses populations hongroises. Cet esprit de revanche allié à un penchant ancien pour un pouvoir autoritaire exercé par une aristocratie à peine sortie d’un système quasi-féodal, avait poussé la Hongrie aux côtés de l’Allemagne hitlérienne*, dans l’espoir d’une reconquête d’une partie de son ancien territoire. Et en effet ces vœux furent partiellement exaucés par la grâce d’Hitler et de Mussolini.
* La Hongrie a déclaré la guerre à la Russie le 27 juin 1941 et participé à la meurtrière bataille de Voronej en 1942.
 
Ce morceau d’histoire de la Hongrie, c’est le sujet même du récit de Márai. Et c’est certainement un des passages les plus personnels et les plus bouleversants que la relation qu’il fait de la visite de sa ville natale, Kassa (aujourd’hui Košice en Slovaquie) réintégrée à sa patrie, visite qu’il doit faire en défilant quasi militairement au milieu d’une population mi hostile mi ironique. Et l’amertume qu’il en ressent s’ajoute au constat sans concession qu’il dresse de l’attitude de la quasi-totalité de la société hongroise, soit ouvertement pronazi, soit qui laisse faire (aristocrates, grands propriétaires) car elle pense que c’est son intérêt, soit dans la convoitise des biens spoliés aux juifs.

Tout en procédant à ce que dans le Canard Enchaîné Igor Capel nomme un véritable examen de conscience, il fustige le comportement déshonorant pouvant aller jusqu’à l’abject de cette part de la société hongroise de l’époque (Nous étions totalement immergés dans la boue morale de la guerre tandis que la surface restait encore paisible. Les étrangers … disaient que Budapest était un « îlot de paix ». En fait nous ne vivions pas sur une île mais dans un marécage  bouillonnant sous lequel grondait un volcan. Au moment où cette force souterraine explosa, soudain il n’y eut plus d’« île » et la glaise en fermentation, avec tous ses êtres vivants aigrettes, aussi bien que crapauds et fossiles, s’engouffra dans le raz-de-marée sanglant et immonde).
Quelques portraits d’hommes politiques qui ont joué à cette époque des rôles importants, complètent cette description du monde dans lequel il vit et se sent de plus en plus isolé.

Malheureusement on sent que cet ouvrage n’est pas achevé. Contrairement à ce qu’il annonce dans les premières pages (J’aimerais raconter ce qui s’est produit au cours des dix années qui ont suivi [l’Anschluss], jusqu’à ce petit matin sur le pont de l’Enns – limite de la zone russe, qu’on appelait rideau de fer –, où un soldat soviétique … nous a laissés partir pour l’exil que nous avions choisi) Márai ne fait qu’évoquer la période d’après-guerre, ce que souligne la traductrice Catherine Fay dans sa postface. Mais pour cette période il écrira plus tard des pages éloquentes dans Mémoires de Hongrie.
Et au-delà de ses réflexions désenchantées, ce qui pour moi ressort le plus de ce texte, c’est l’attachement viscéral de Márai à sa nation hongroise et surtout à sa langue :

Etant donné que j’écris dans la langue extrême-orientale singulière de cette nation, que je ne pourrai jamais écrire une ligne vraiment valable dans une langue étrangère – non par manque de savoir-faire mais tout simplement parce que l’écrivain privé de l’atmosphère de sa langue maternelle est un être bégayant, estropié et impotent ! –tant que je vivrai et que j’écrirai, je ne pourrai abandonner l’esprit national hongrois.
Et en effet on ne peut qu’admirer le style, l’art consommé des longues périodes de ses descriptions, de ses diatribes, très bien rendus par la traduction.

Pour moi un ouvrage indispensable, malgré ses manques, pour comprendre l’histoire de la Hongrie de cette période et peut-être aussi celle d’aujourd’hui, car les vieux démons peuvent toujours se réveiller !

mercredi 29 octobre 2014

Parution aujourd'hui de "Ce que j'ai voulu taire"

Aujourd'hui est disponible en librairie
"Ce que j'ai voulu taire"
de Sándor Márai,
Editions Albin Michel (traduction Catherine Fay) 

Voici l'article que lui consacre "L'homme en question", revue de l'éditeur.

Les dernières confessions d’un bourgeois
Avant la Seconde Guerre mondiale, Sándor Márai était un écrivain et un journaliste reconnu en Hongrie. Il menait une existence bourgeoise et insouciante, à l’image de cette journée du 12 mars 1938 par laquelle commence Ce que j’ai voulu taire : le romancier va nager, écrit, prend un café, rencontre des amis…
Ce jour-là, pourtant, l’Allemagne nazie annexait l’Autriche, et un processus irréversible allait s’enclencher qui aboutirait à « l’anéantissement » de la culture et de la bourgeoisie hongroises. Écrit en 1950, ce manuscrit suit et complète Les Confessions d’un bourgeois (publié chez Albin Michel): Márai y revient sur l’histoire des transferts de population dans le bassin des Carpates depuis le traité de Trianon, en 1920, la dissolution du sentiment national venant alors s’ajouter à la juste colère des paysans sans terre et à la corruption généralisée. Après sa compromission avec le régime nazi, l’expérience communiste allait finir de ruiner moralement son pays, et Márai fut contraint à l’exil.
« Rien n’irrite tant l’autorité qu’un silence qui la nie »: c’est pourquoi cet éternel apatride, provisoirement rayé de la mémoire nationale de son pays (Albin Michel l’a révélé en France un an après sa mort, en 1990) se livre ici en toute honnêteté, esquissant un projet politique étrangement contemporain, seul viable à ses yeux: « un traité de paix entre capitalisme et socialisme ».

Ce que j’ai voulu taire
Sándor Márai
224 pages, 18€

jeudi 23 octobre 2014

Une édition bilingue anglais-hongrois de poèmes de Sándor Márai

Sous le titre de The Withering World, Alma Books, un éditeur anglais indépendant, vient de publier une anthologie de poèmes de Sándor Márai en édition bilingue.

Présentation de l'ouvrage par l'éditeur


This collection, the first and only edition of Márai’s poems in the English language – here presented in John M. Ridland’s and Peter V. Czipott's brilliant verse translation – offers a comprehensive selection spanning the author’s whole career and exemplifying his mastery of what he considered to be the highest form of literary expression.

Ce recueil, la première et unique édition de poèmes de Márai en langue anglaise - présentée ici dans la brillante traduction en vers de John M. Ridland et Peter V. Czipott -  propose une large sélection qui s’étend sur toute la carrière de l’auteur et témoigne sa maitrise de ce qu’il considérait comme la plus haute forme d’expression littéraire.

 
C'est à ma connaissance la seule traduction de poèmes de Márai dans une langue d'Europe occidentale.

dimanche 12 octobre 2014

Parution prochaine de "Ce que j'ai voulu taire"



Albin Michel annonce la parution, le mois prochain de
"Ce que j'ai voulu taire" de Sándor Márai.
 
Ce livre qui n'est paru en Hongrie qu'en avril 2013, est, d'après Márai lui même, une continuation des Confessions d'un bourgeois pour la période qui commence à l'Anschluss (l'occupation-annexion de l'Autriche par Hitler en 1938).
 
Voir aussi dans ce blog l'article "Sensation littéraire : un inédit de Márai" du 12 août 2013 .