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Jaquette du roman |
Les
mouettes * est un roman
écrit par Márai en 1942, dans une période où la Hongrie, si elle a bien choisi son
camp, celui du fascisme, n'est pas encore entièrement concernée dans le
conflit mondial qui fait rage à ses frontières.
*il aurait été plus conforme au titre original de l'intituler "Une mouette", ou "Mouette" tout simplement ; mais on sait bien que le choix d'un titre n'est pas affaire de traduction fidèle mais de marketing
Et
cette situation très spéciale est un des ressorts de l'intrigue du roman. Le
personnage principal vient de rédiger l'annonce d'une décision étatique majeure
dans ce contexte, quand se présente à lui une jeune femme finnoise, qui ressemble
à s'y méprendre à celle qu'il a aimée et qui s'est suicidée quelques années
plus tôt. En quelques heures va se nouer entre ces deux êtres des relations de
curiosité, d'attirance, de confrontation et aussi de joute
quasi-professionnelle.
Sándor
Márai capte ces deux êtres à un moment où leurs destins individuels se mêlent à
l’Histoire avec un grand H.
« Ce n'est sans doute pas un hasard
si nos destins se ressemblent également. Le sort des petits peuples ne nécessite
pas une puissante imagination : c'est toujours la même fatalité qui leur
souffle leurs paroles et leurs actes, et les mêmes forces et les mêmes
adversaires qui les poursuivent, de toute éternité... Parce que, lorsque nous
arriverons au bout de cette nuit, nous connaîtrons, aussi la guerre qui, je
l'ai compris à présent, est une loi générale comme Dieu, l'amour et la mort. Tu
voulais dire quelque chose ?... »
Márai
y fait preuve une nouvelle fois de ses qualités de chirurgien des âmes, au
style toujours aussi fluide, aussi précis et en même temps poétique auquel nous
ont accoutumés ses autres romans, style très agréablement rendu par sa traductrice
Catherine Fay.
« L'amour... Tu ne te souviens pas ?
Tu as retrouvé le calme en toi et autour de toi. Tu t'es déshabitué de jeter de
temps à autre un coup d'œil injustifié sur les aiguilles de ta montre-bracelet,
de dresser l'oreille à la moindre sonnerie du téléphone, de tourner brusquement
la tête en entendant appuyer sur la poignée de la porte, de fouiller d'une main
dans le courrier du matin en cherchant parmi les enveloppes les signes de
l'écriture familière avec une curiosité et une tension anormales... tout cela
est fini désormais. Et maintenant ? N'as-tu pas peur, n'as-tu pas honte
d'accueillir à nouveau dans ta vie cette inquiétude confuse et humiliante ? … »
« Supporter encore une fois que ton
corps et ton âme soient attachés à quelqu'un, c'est-à-dire prisonniers de
quelqu'un, quitter à nouveau la solitude dont la vie et la sagesse ont par
bonté revêtu tes épaules comme d'un manteau sombre qui te sépare du monde mais
t'en protège aussi, comme l'habit protège le moine... À nouveau, «vivre à fond
», c'est-à-dire vivre à moitié puisqu'il te faut tout partager avec un tyran
curieux et puéril dont ce n'est même pas la faute s'il est cruel et fou... Qui
est cette femme, à part que c'est « elle » et qu'elle est revenue ? »
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Jaquette de l'édition hongroise |
Conçu
et structuré comme une pièce de théâtre en trois actes, obéissant à la règle
des trois unités, de temps (un jour et une nuit d’hiver), de lieu (Budapest que
l’on sent tout engourdie) et d’action (ou plutôt d’attente d’action), le roman est
comme toujours chez Márai riche de ces monologues entrecroisés où les
protagonistes se défient en douceur. Il nous entraîne aussi dans les multiples
pensées de son auteur, ici représenté par ce haut fonctionnaire (‘héros’ qui
n’est jamais nommé, comme dans plusieurs autres romans de Márai), réflexions
sur la guerre, le vieillissement (qui à cette époque-là est une obsession
constante de Márai) le destin, la vie, l’amour, la mort, réflexions parfois un
peu bavardes, mais toujours captivantes. Et qui nous tiennent en
haleine dans l’attente du dénouement.
Peut-être pas une des œuvres majeures de Márai, mais qui, replacé à l'époque de son écriture, nous éclaire sur des aspects de la pensée de l'auteur, en particulier sur l'histoire, encore peu développés dans ses autres œuvres;